Une vaste délégation rassemblant quelque 70 personnes (élus de Ouest-Provence, responsables associatifs, journalistes) a été reçue hier à l'Assemblée nationale, à l'invitation du député Christophe Masse, pour une rencontre dont le thème officiel portait sur les compétences des élus locaux en matière d'aménagement de leur territoire, notamment s'agissant d'infrastructures relatives à la gestion des déchets. Avenir 13 était présent à cette réunion.
Ont pu prendre la parole, dans l'ordre : Bernard Granié (président de Ouest-Provence), Dominique Jourdain (président d'Eco-maires), Jean-Daniel Chetrit (avocat), Guy Geoffroy (député UMP, vice-président de la commission des lois à l'Assemblée), Jean-Marc Ayrault (député PS, président du groupe socialiste à l'Assemblée), Ségolène Royal (député PS), et enfin Christian Kert (député UMP).
Bernard Granié a d'emblée annoncé que le thème du jour n'était pas l'incinération, mais les conditions d'élaboration du débat public, et il faut souligner la qualité et la sérénité des propos qui furent tenus tout au long de l'après-midi.
Trois points ont été soulignés :
- La France n'a toujours pas transposé en droit interne la convention d'Aarhus, qui renforce la participation du public au processus décisionnel en matière d'enjeux environnementaux. Cette convention ayant néanmoins acquis valeur normative dans toute l'UE dès sa signature le 25 juin 1998, les élus locaux se trouvent contraints de tâtonner pour respecter du mieux qu'ils le peuvent son esprit... la réalité étant qu'ils continuent souvent à oeuvrer selon les anciennes procédures, ne prévoyant la consultation des populations que tardivement et insuffisamment.
- La saisine automatique de la commission nationale du débat public (CNDP) est certes prévue dès lors qu'un projet dépasse le montant de 150 millions d'euros... mais ce seuil n'intègre que les installations propres au site concerné, et non les équipements industriels s'y ajoutant. Ce qui explique que la CNDP n'a pas été saisie du projet de retraitement des déchets à Fos, dont le montant total avoisine certes les 360 millions d'euros, mais dont le coût des bâtiments seuls reste en deçà des 150 millions.
- Lorsqu'un équipement relève de la production énergétique, la délivrance du permis de construire concerne directement l'Etat, et non plus des collectivités locales. Là encore, la question d'un seuil est posée : si l'équipement prévu ne relève qu'indirectement ou accessoirement du secteur énergétique, est-il légitime de déposséder complètement les instances locales d'un droit de regard sur ledit projet ?
Ont ainsi été exposées des pistes de réflexions pour améliorer les débats publics et la prise en compte de l'avis des populations.
Suite à ces longs mais néanmoins intéressants exposés... le colloque a été clos. Pas une question proposée à la salle, aucun débat suggéré, à peine trois politesses.
Il manquait pourtant un pan entier à ce débat, qui prétendait éclairer la situation de blocage à Fos-sur-Mer. Car si le dossier des déchets de MPM n'a pas pu bénéficier d'une participation du public conforme aux recommandations d'Aarhus, et si les populations locales n'ont pas été directement consultées, on ne peut cependant pas en dire autant de leurs élus.
En voulant prendre leur situation pour paradigme des carences françaises en matière de débat public, les élus de Ouest-Provence et notamment fosséens ont commis une erreur monumentale : ils ont été insincères. Et puisque messieurs Granié et consorts ont voulu faire porter le débat sur les qualités nécessaires à la tenue d'un débat public de qualité, nous allons les prendre au mot, et examiner leur attitude sur le dossier des déchets de MPM.
En effet, pour qu'un débat public de qualité puisse se tenir, il faut prévoir des délais, des consultations, des informations, des réflexions. Mais la technique et le normatif, la procédure, ne sont pas les garants suffisants du débat public. Pour que celui-ci puisse être réel, les intervenants doivents être sincères, ouverts, et cohérents. Ces trois qualités ont manqué gravement à Bernard Granié, à Jean-Noël Guérini, et à René Raimondi. Nous souhaitons le montrer simplement.
Nous tenons ici à le préciser : nos propos suivants s'inscrivent dans la même tonalité sereine et apaisée du colloque tenu à l'AN. Puisque certains élus prétendent rechercher l'instauration d'un débat réel, et prétendent aussi avoir été mis devant un fait accompli, nous allons leur rappeler qu'il n'en est rien. Nous dénonçons en effet ce que nous estimons être l'hypocrisie de plusieurs élus locaux sur ce dossier : contrairement à ce qu'il prétend, Bernard Granié notamment a depuis des années contribué à faire venir à Fos le retraitement des déchets de MPM.
I - L'absence de sincérité
Au cours du colloque, Bernard Granié a été amené à plusieurs reprises à réexpliquer la situation locale. Il a reconnu à cette occasion que le président de MPM et maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin, avait tenté par deux fois d'installer l'incinérateur à Marseille même, preuve qu'il ne le juge pas dangereux pour la population. Rencontrant une série de difficultés techniques et politiques pour y parvenir, il s'est effectivement tourné alors vers le site de Fos-sur-Mer. Mais contrairement à ce que prétend Bernard Granié, ce choix n'a pas été fait au hasard par MPM : si Jean-Claude Gaudin a retenu ce site, c'est parce que Bernard Granié et Jean-Noël Guérini, à l'époque, plaidaient tous les deux en ce sens.
Pour s'en souvenir, il suffit de se référer au premier projet départemental d'élimination des déchets (invalidé en juin 2003 par le tribunal administratif pour son caractère bâclé) présenté par Jean-Noël Guérini. Celui-ci prévoyait deux incinérateurs, et cherchait alors via un SMIDEP à mettre en place ce projet à Fos-sur-Mer.
Jean-Noël Guérini n'était pas isolé : il était soutenu activement par le maire de Fos de l'époque, Bernard Granié : dès 1999, celui-ci défend publiquement, notamment dans un article de article de La Provence du 4 juin 1999, la construction à Fos-sur-Mer d'un vaste centre de retraitement des déchets. On peut imaginer la série de consultations et réunions internes qui ont précédé cette annonce et cette prise de parole publique.
Nous avons déjà évoqué ces éléments dans notre Lettre à la population de Fos-sur-Mer en avril dernier. Nous invitons chacun à y jeter de nouveau un oeil attentif.
En tout état de cause, lorsque Bernard Granié prétend que MPM a imposé le choix du site aux élus fosséens, il ment. Et il manipule la population de Ouest-Provence lorsqu'il prétend faire preuve d'ouverture en acceptant finalement un site... qu'il a lui-même promu auprès du maire de Marseille.
Si Bernard Granié veut un débat sincère, qu'il commence par reconnaître publiquement devant toute la population fosséenne et de Ouest-Provence avoir lui-même oeuvré dès 1999 au moins (et sans doute avant) pour que le projet de retraitement des déchets de MPM se fasse à Fos-sur-Mer. Et s'il ne veut pas le reconnaître, nous le renverrons encore et toujours à l'article du 4 juin 1999 dans La Provence, où ses propos sont sans ambiguïté : "La zone industrielle de Fos a beaucoup de place et elle est éloignée de la zone urbaine. On traite les produits bien plus dangereux. Pourquoi les ordures ne nous intéresseraient-elles pas ? [...] A Fos, nous avons la capacité de le faire."
II - L'absence d'ouverture
En matière de gestion intercommunale des déchets, la confrontation de municipalités politiquement opposées n'est pas inédite. La cas de la Communauté urbaine de Bordeaux (CUB) est exemplaire ; en 1993-1995, la commune de Bègles, dirigée par Noël Mamère, a accueilli l'installation d'un incinérateur de 250 000 tonnes pour recevoir les déchets de la CUB. Le projet a été voté à l'unanimité. Pourtant, personne n'accusera Noël Mamère d'irresponsabilité en matière environnementale. Comment en sont-ils arrivés là ?
Pour éclaircir ce point, nous avons contacté un proche collaborateur du député-maire de Bègles. Nous avons ainsi découvert qu'à la CUB, c'est d'abord la question de la méthode d'élimination qui a été examinée : entre l'incinération et l'enfouissement, il a été décidé d'opter pour l'incinération, jugée écologiquement plus responsable (sur la base du résumé argumentatif suivant : nos déchets sont une richesse, leur potentiel énergétique est important, l'incinération permet une valorisation maximale et un enfouissement minimal, les dangers sont connus et désormais maîtrisés). Une fois le principe de l'incinération acté, la CUB a cherché le meilleur emplacement. Pour des raisons techniques et logistiques, c'est un lieu situé sur la commune de Bègles qui est apparu le plus approprié. Par ailleurs, Noël Mamère a vu là l'occasion de veiller lui-même au strict respect de toutes les normes de santé et de sécurité publique. A sa demande, une commission locale d'information et de surveillance (CLIS) a été installée, ainsi qu'un comité de suivi scientifique, présidé par Jean-François Narbonne (éminent toxicologue), ledit comité rendant des comptes devant la CLIS. En outre, Noël Mamère a obtenu le respect anticipé des normes européennes en matière de rejet de dioxine. Mois après mois, mesure après mesure, il a prouvé que l'incinération pouvait être une méthode satisfaisante et responsable d'élimination des déchets.
Cet exemple nous permet de mieux comprendre comment des élus de bords différents peuvent, dans un esprit de responsabilité remarquable, régler une question aussi sensible pour une collectivité que la gestion de ses déchets ménagers. L'ouverture d'esprit et la sincérité des élus en sont les présupposés absolument nécessaires. Etre sectaire, au contraire, aurait conduit à l'impasse.
Or, à Fos-sur-Mer, à quoi avons-nous assisté ? Pour des raisons politiques, Bernard Granié et Jean-Noël Guérini changent subitement leur fusil d'épaule : après avoir défendu l'incinération et le site de Fos-sur-Mer, les voilà tous deux dénonçant simultanément le soi-disant passage en force de Jean-Claude Gaudin. C'est seulement alors que Jean-Noël Guérini commence à élaborer un deuxième plan départemental d'élimination des déchets, cette fois incompatible avec le projet de MPM. Constatant ce revirement purement politicien et l'hypocrisie de ses adversaires, le maire de Marseille demande au préfet de poursuivre la procédure déjà engagée.
En effet, tout débat public est devenu impossible :
- Pour soutenir son nouveau plan départemental d'élimination, Jean-Noël Guérini met en place ce qu'il présente comme un Grand Débat prétenduement inspiré de la commission nationale du débat public. Mais le journal Le Ravi nous rappelle fort opportunément que "au vu des objectifs de « communication » assignés à ce débat, la CNDP refuse ostensiblement de le reconnaître comme l'un des siens. De fait, à l'opposé des méthodes du CNDP, toutes les réunions ont été présidées par Antoine Rouzaud, le conseiller général (PRG) en charge du dossier." Cette partialité est contraire aux exigences de débat public que réclament pourtant officiellement les élus départementaux et fosséens.
- A Fos-sur-Mer, Bernard Granié a cédé la place à son second, René Raimondi. Celui-ci multiplie les outrances verbales et radicalise frontalement le débat, qu'il porte sur le terrain de l'incinération, présentée à la population fosséenne comme un instrument de mort. De multiples "réunions d'information" sont organisées, où le débat est de fait inexistant, le maire et son équipe s'acharnant à saboter l'examen serein du traitement des déchets. Jean-François Narbonne, invité à présenter à Fos-sur-Mer un point de vue scientifique sur les dioxines et l'incinération, ne peut pas s'exprimer, coupé de toutes parts dès qu'il prend la parole. Quelques jours plus tard, à Martigues, un débat plus serein lui permettra d'exposer la réalité du procédé industriel et son intérêt.
- Que ce soit à travers ses déclarations péremptoires, sa sur-communication, ses tentatives pour forcer un cordon de CRS et l'entrée de la mairie de Marseille en marge d'une manifestation, ou encore un courrier envoyé au pape, René Raimondi offre de la démocratie le pire visage : en se mettant lui-même en scène, sans tenir compte des démarches passées de Bernard Granié (subitement bien silencieux...), rejouant en permanence le mythe révolutionnaire (cf. la présentation à Fos des voeux du nouvel an 2006), René Raimondi manifeste le plus profond sectarisme, coupé du principe de responsabilité qui avait guidé le débat bordelais décrit plus haut. Dans un article de La Provence du 16 septembre 2006, Robert Mazan, ancien maire de Fos, dénonce la teneur des propos de René Raimondi à l'égard du préfet Frémont : « Le maire a rompu tout dialogue avec l'Etat, avec une attitude verbale agressive. Il y a des actions plus intelligentes. »
Le double jeu, le revirement, et l'absence totale d'ouverture de Guérini, Granié, et Raimondi, conduisent la situation de Fos-sur-Mer à empirer semaine après semaine. Le débat réclamé est impossible, parce que ceux qui le réclament ne veulent manifestement pas débattre sereinement : le seul but est d'empêcher le projet de MPM. Le parti pris est flagrant, irresponsable, incohérent.
III - L'absence de cohérence
Sur un grand nombre d'éléments, enfin, les mêmes élus font preuve d'incohérences parfois stupéfiantes :
- Lorsque Bernard Granié réclame aujourd'hui un débat public sur la base de la convention d'Aarhus pour donner la parole aux citoyens, oublie-t-il les propres démarches qu'il avait engagées avec Jean-Claude Gaudin en tant que représentant des Fosséens, pour faire venir à Fos-sur-Mer le retraitement des déchets de MPM ?
- Si René Raimondi est à ce point opposé à l'incinérateur, pourquoi ne l'entend-on jamais dénoncer l'incinérateur de Solamat-Mérex, qui brûle des déchets industriels dangereux venus de toute la région PACA ? Pourquoi fustige-t-il un incinérateur moderne et virtuel, et ne dit-il rien sur l'incinérateur bien réel déjà présent à Fos-sur-Mer ?
- Pourquoi René Raimondi n'écoute-t-il pas la position de Bernard Granié en matière d'incinération ? Pourquoi celui-ci a-t-il renoncé à s'exprimer sur le sujet ? Pourquoi Bernard Granié ne se focalise-t-il que sur la consultation publique, sans jamais s'exprimer sur le fond, sur l'incinération ?
Lorsque René Raimondi et Bernard Granié en appellent aux conventions européennes pour réclamer une consultation de la population locale, oublient-ils que l'UE ne manifeste pas d'opposition de principe à l'incinération des déchets, et qu'un débat serein doit se faire sans parti pris ?
- Pourquoi les avis mesurés d'élus tels que Robert Bret, conseiller régional communiste en PACA, ne parviennent-ils pas aux oreilles de René Raimondi ? Et pourquoi l'exemple de Bordeaux et de Noël Mamère ne sont-ils jamais examinés ? Ne devraient-ils pas interpeller ?
Sur ce dossier éminemment sensible de la gestion des déchets ménagers, la diabolisation de l'incinération par René Raimondi, le double jeu de Bernard Granié, et le revirement politique de Jean-Noël Guérini, ont considérablement nui à tout débat publique responsable.
Venir souligner à l'Assemblée nationale les carences législatives en la matière, c'est bien ; mais au-delà de la procédure, il manque à Bernard Granié, René Raimondi et Jean-Noël Guérini de faire preuve de sincérité, d'ouverture, et de cohérence.
Le débat public, l'esprit de responsabilité, le respect des citoyens et de la démocratie, sont à ce prix.
Sur ce dossier, la position d'Avenir 13 est claire :
- Nous sommes opposés au projet de retraitement à Fos-sur-Mer des déchets de MPM, parce que nous estimons que la priorité doit être à la réduction des déchets à la source, laquelle ne sera jamais conduite aussi fermement que si les intercommunalités assument elles-mêmes le traitement de leurs déchets, et pas en sous-traitant cette activité à l'intercommunalité voisine ;
- Nous dénonçons les manoeuvres de Bernard Granié qui, après avoir manigancé pour faire venir à Fos le retraitement des déchets de MPM, après avoir défendu ce projet y compris via l'incinération, se permet aujourd'hui de se poser en victime d'un fait accompli... notamment par lui-même ;
- Nous dénonçons le débat insincère que Bernard Granié tente aujourd'hui de mettre en place autour de la question de la libre disposition de leur territoire par les élus : si ce débat a effectivement échappé à la population, il n'a pas échappé à Bernard Granié ni à Jean-Noël Guérini, qui n'ont changé d'avis que pour mettre leur adveraire politique marseillais en porte-à-faux ;
- Nous réclamons que, quelle que soit la solution qui sera finalement adoptée, une CLIS et un comité de suivi scientifique soient mis en place, avec la même rigueur que ce qui existe pour la communauté urbaine de Bodeaux ;
- Nous approuvons sans réserve les suggestions avancées à l'Assemblée nationale concernant l'amélioration des consultations publiques en matière d'équipements structurant nos territoires.
Nous regrettons que les élus fosséens tentent de masquer leurs responsabilités passées et actuelles derrière une insuffisante consultation des populations locales.
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